Rencontre avec la réalisatrice de Jeune Juliette, Anne Émond
C’est avec un grand et chaleureux sourire que la réalisatrice et scénariste québécoise Anne Émond me reçoit pour me parler du film Jeune Juliette, son quatrième long métrage qu’elle a tourné cette fois en 35 mm. Il sortira le 11 décembre en France !
Entre 2005 et 2011, Anne Émond a écrit et réalisé sept courts métrages, dont Naissances et Sophie Lavoie, qui ont voyagé dans plusieurs festivals internationaux et ont gagné de nombreux prix. C’est en 2011 qu’elle réalise son premier long métrage, Nuit #1. Celui-ci est présenté dans plus de vingt-cinq festivals internationaux, dont ceux de Busan, Rotterdam, Taipei et Toronto. Le film remporte plusieurs prix et mentions et sera distribué dans une dizaine de pays, dont la France et les États-Unis.
Le beau film Jeune Juliette dépeint le quotidien d’une adolescente où une urgence se fait sentir, peut-être à vouloir grandir, s’échapper, s’épanouir. Rencontre avec sa réalisatrice qui a voulu créer un univers chaleureux, ensoleillé et pop.
Comment êtes-vous devenue réalisatrice ?
J’ai su assez tôt que je voulais être dans le cinéma. Dès mon enfance, j’étais très intéressée par la littérature, la mode, le dessin… Je voulais écrire des romans à l’époque. À l’âge de 15 ans, j’ai vu le film Trainspotting de Danny Boyle et ça a fait comme une “explosion” en moi. J’ai su que je voulais écrire et réaliser des film et à partir de là je n’ai jamais dérogé à mon ambition. J’ai étudié le cinéma dès que j’ai pu dans deux écoles différentes. Sont venus les courts métrages avec les amis, sans budget… À 29 ans, j’ai fait mon premier long métrage.
Quel est le sujet du film Jeune Juliette avec vos mots ?
Je pense que c’est un film sur la différence, l’acceptation de la différence et, troisièmement, la force de la différence. J’ai l’impression que tous les personnages principaux sont en prise avec ce qu’ils identifient comme un problème, une défaillance presque. Au fil du film, on se rend bien compte que c’est leur force. L’adolescence, la cruauté humaine, la sortie de l’enfance et la désillusion sont aussi au centre du propos du film.
A-t-il été nécessaire que l’actrice sélectionnée ait vécu des situations similaires difficiles pour qu’elle puisse incarner au mieux le personnage ?
Ça a été difficile de trouver la comédienne, les agences regorgent de comédiennes qui correspondent plus ou moins à un standard de beauté, et trouver un type de beauté différent a été compliqué. On a fait 16 auditions avec Alexane Jamieson, avec des essais avec le directeur costume, avec le directeur de la photographie avant qu’on la choisisse. Il a fallu tout un travail préparatoire, et elle a dû prendre une dizaine de kilos pour faire le film, ce qui est quand même quelque chose de difficile à demander et particulièrement à une jeune fille. J’ai adoré son attitude, qui a été de le faire avec joie. Elle assumait complètement ce rôle-là, avec une attitude très mature pour porter le film réellement qui faisait écho à son propre parcours, qu’elle a décidé de transformer en force.
On aime demander aux artistes ou réalisatrices quelles sont leurs inspirations, j’avais envie de vous le demander avec cette réalisation car on y trouve une esthétique assez vintage, avec une attention aux couleurs…
J’ai su assez rapidement, j’avais en tête toutes les couleurs du film au moment où je l’écrivais, toutes les musiques puis le ton du film. C’est un film assez pop, estival, ce qui change complètement de mes trois précédentes réalisations (Nuit #1, Les Être chers, Nelly), dont le troisième parle de Nelly Arcan, auteure québécoise, qui étaient extrêmement sombres. Ce dernier film est du coup un vrai changement par rapport aux dialogues, au thème et à l’aspect formel. C’était important pour moi que ce soit à la fois vintage et intemporel dans le sens où on sait que ça se passe de nos jours, mais on ne sait pas de façon évidente où nous nous trouvons. Ce n’est pas un film sur la jeunesse en 2019 mais un film sur la jeunesse. Je pense que les grandes émotions que l’on traverse à l’adolescence (le premier amour, les rejets, l’amitié…) sont exactement les mêmes que l’on ressent plus âgé.
Les inspirations sont nombreuses, Ghost World, de Terry Zwigoff, un film américain tiré d’une bande dessinée sur deux jeunes filles. Tous les films de ma jeunesse à moi, Breakfast Club, Karaté Kid ou encore L’Effrontée de Claude Miller où il y a une inspiration directe, Arnaud dans le film s’habille presque de la même façon que Lulu.
Vous avez parlé de musique, vous laissez une grande place à la musique dans le film, qui vient rythmer les moments de peine, de mélancolie et ceux plus joyeux. Comment choisissez-vous les musiques de vos films ?
J’écoute énormément de musique, je me tiens à jour en allant aussi voir beaucoup de concerts. Souvent, quand j’écris, je sais déjà quels titres je veux intégrer, j’ai une sorte de playlist que j’ouvre au moment de l’écriture du scénario. Ça accompagne réellement l’écriture et influence certainement le climat au final, même si ces chansons ne se retrouvent pas nécessairement dans le film par la suite. Pour ce film, c’était une playlist très pop, éclatante, ensoleillée, et je me suis mise à la place de Juliette et me suis demandé ce qu’elle aurait choisi, tout comme les split screens (divisions de l’écran), les zooms assez rapides, si c’était elle qui réalisait un film… Et ça a été assez réjouissant de travailler ainsi, car je me suis autorisé des choses que je n’avais jamais faites, comme le fondu enchaîné en cœur…
Concernant les jeunes acteurs, comment avez-vous travaillé avec eux ?
Nous avons beaucoup travaillé avec beaucoup de répétitions, c’est sûr, et nous avons trouvé des acteurs assez proches de leurs personnages. Gabriel Beaudet, Arnaud dans le film, est assez proche de son personnage dans sa façon de parler, d’interagir… Il y a eu des sessions de compréhension de texte, ce que je n’avais jamais organisé, pour qu’ils comprennent l’autour du texte. Mon sentiment a été qu’ils avaient besoin d’être aimés sur le plateau, leur porter une attention constante…
Je voulais aborder avec vous le sujet des femmes réalisatrices, qui me tient à cœur. Quelles sont celles qui vous inspirent ?
C’est un sujet très intéressant car, pour être honnête, tous les films qui m’ont influencée pendant l’adolescence, puis au début de l’âge adulte, ont été réalisés par des hommes. Aujourd’hui, les films de femmes m’influencent énormément, et c’est inconscient. Je pense à Céline Sciamma, Andrea Arnold, Johanna Hogg…
En ce moment, au Québec, il y a un objectif de parité qui se met en place peu à peu, et depuis que mon film est sorti en juillet au Canada, ce ne sont que des femmes qui ont cartonné, autant critiques que box-office, comme Il pleuvait des oiseaux de Louise Archambault, c’est Antigone de Sophie Deraspe qui nous représente aux Oscars… ce n’est pas calculé, on voit qu’on laisse les femmes s’exprimer, c’est vraiment touchant !
Comment nous, spectateurs, pouvons-nous favoriser cette meilleure visibilité ?
En France, j’ai l’impression qu’il y a déjà une éducation à l’image importante. Ce qui a été un des grands succès au Québec de Jeune Juliette, c’est que les adolescents sont allés voir le film avec leur école, leur famille… J’ai l’impression que cela va se faire naturellement, comme les films sont aussi bons que ceux des hommes, je ne suis pas pour l’idée de forcer dans ce sens, mais parfois il faut une petite impulsion. Je pense au cinéma amérindien, on le fait aussi et cela fait des choses merveilleuses. Évidemment, cela passe également par l’éducation.
Quel film ou événement culturel vous a marquée récemment ?
The Souvenir, le film de Johanna Hogg, avec Tilda Swinton, qui évoque le thème de la toxicomanie, sans jamais en parler. C’est formidable !
Un grand merci à Anne Émond, LIGNE7 Distribution et CinéSud Promotion.
Interview réalisée par Mona Dortindeguey
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